Révolution industrielle : 3ème ou 4ème… ? ou changement de paradigme plus profond ?
Héraclite d’Éphèse, philosophe grec, a dit un jour « Rien n’est permanent, sauf le changement ».
Pour lui, rien dans le monde ne demeure un seul instant identique à soi-même : tout passe, tout change, tout meurt à chaque instant [1]. Cependant, n’y a-t-il pas des constantes dans tous ces changements ? En effet, tout évolue constamment, se transforme et se modifie de façon perpétuelle à tel point qu’un changement en prépare un autre. Il est possible d’identifier à travers ces changements de grandes tendances que l’on peut appeler ruptures, phases, ou encore cycles, courts ou longs, qui sont souvent caractérisés par des phases de création et de ralentissement.
Dans notre société contemporaine, les cycles que nous identifions comme les plus importants sont ceux qui ont changé nos façons de produire, de communiquer et de créer : les révolutions industrielles.
Par définition, « La révolution industrielle» est le passage d’une économie fondée traditionnellement sur l’agriculture à une économie reposant sur la production mécanisée. Les « révolutions industrielles » (au pluriel) désignent les différentes vagues d’industrialisation qui se succèdent dans les différents pays à l’époque moderne. [2]. L’histoire en retient trois [3]. Jérémy Rifkin, économiste qui analyse dans ses différents livres l’impact des nouvelles technologies sur l’économie et les nouvelles sociétés, en nomme 3 également [4] et a identifié que la combinaison entre une nouvelle forme d’énergie, une nouvelle forme de communication et une nouvelle forme de transport, était l’élément commun entre toutes les révolutions industrielles.
Ainsi la première révolution industrielle, qui démarre à la fin du XVIIIe siècle, est marquée par la presse à vapeur, le télégraphe, le charbon et la locomotive.
La deuxième révolution industrielle, qui apparaît dès 1870, est marquée par le pétrole et l’électricité centralisée, mais aussi le téléphone, la radio, la télévision et le moteur à combustion interne, des voies rapides et des voitures.
La troisième révolution industrielle, soutenue par l’électronique et les technologies informatiques, est une révolution de la production automatisée et du numérique qui démarre vers 1970 avec l’invention du microprocesseur, de l’ordinateur de bureau, des logiciels grand public, des imprimantes, des réseaux puis d’internet. C’est aussi une révolution de l’information : internet a ouvert un champ des possibles. Il a permis notamment la numérisation de l’information et de l’inter connectivité des appareils mobiles connectés.
Chacune des révolutions est une prémisse de la suivante et nous fait évoluer dans de nouveaux paradigmes.
Mais au regard de la multitude de changements de ces 20 dernières années qu’a provoqué internet, il est de nature de penser qu’il y a quelque chose d’autre, qu’une nouvelle rupture se dessine. En effet, on parle aujourd’hui de quatrième révolution industrielle. Elle est issue de la 3ème révolution et est liée à l’introduction de nouvelles technologies : internet des objets, intelligence artificielle, Cloud, Big data et des systèmes cybers-physiques. On voit émerger de nouveaux modes de transport : vélo électrique, drone, homme volant. Pour Klaus Schwab, ingénieur et économiste allemand, c’est un tsunami technologique [5]. C’est à ses yeux ce qui en fait une véritable rupture avec la 3e révolution industrielle. Bien qu’on ne parle pas de nouvelle source d’énergie, cette révolution évoque une nouvelle forme d’énergie avec les réflexions de l’après-pétrole, ou comment en finir durablement avec l’ère d’exploitation intensive du carbone et proposer de nouvelles énergies, par exemple avec le développement de l’énergie verte, de la fusion nucléaire et de l’économie circulaire.
Cependant, les changements actuels ne sont pas simplement le fruit de la troisième révolution industrielle, mais la conséquence d’une quatrième révolution, totalement différente par sa vitesse, sa portée et son impact. La vitesse à laquelle apparaissent les innovations actuelles est sans précédent. Comparée aux précédentes, la Quatrième révolution évolue à un rythme exponentiel, et non plus linéaire. De plus, elle bouleverse presque tous les secteurs d’activité, partout dans le monde. L’ampleur et l’importance de ces changements annoncent la transformation de systèmes entiers de production, de management et de gouvernance. Parle-t-on encore vraiment de révolution industrielle alors qu’à la base de toute révolution se situe l’Homme et que celui-ci, contrairement à la technologie, n’est pas exponentiel. Pour Meg Whitman, l’ancienne patronne de HP, « On ne peut pas aller plus vite qu’on n’est capable de le penser » [6], et pourtant c’est ce qui se passe.
Pour Marc Halevy, physicien et philosophe français spécialisé dans les sciences de la complexité, nous sommes à un moment clé de l’histoire de l’humanité. C’est ce qu’il appelle la bifurcation.
Cela arrive tous les 550 ans en moyenne [7] : la fin d’un monde et l’émergence d’un nouveau. Ce n’est donc pas simplement une révolution, mais une renaissance. Selon les historiens, une bifurcation est marquée par un changement de paradigme. Tout comme Jeremy Rifkin a identifié 3 éléments communs à une révolution, Marc Halevy mentionne les 5 éléments communs pour vivre une bifurcation : rupture écologique, rupture économique, rupture technologique, rupture organisationnelle et rupture philosophique [7]. Ainsi les grandes bifurcations précédentes ont été : l’invasion des cités grecques par les légions romaines, la chute de l’Empire romain, la fin de l’Empire chrétien germanique et la dernière bifurcation nommée est la renaissance qui a marqué le passage de la féodalité à la modernité. Selon Marc Halevy, le processus socio-économique mondial est en train de vivre à nouveau une bifurcation, car les cinq ruptures sont présentes à ce jour : au niveau technologique avec le passage du matériel au digital (intellectualité); au niveau économique : avec le passage de l’économie de masse à l’économie d’usage (virtuosité); au niveau écologique avec le passage d’une logique d’abondance à une logique de pénurie où il faut faire mieux avec moins, plus équitable et plus durable (frugalité), au niveau organisationnel et sociétal avec le passage du JE à NOUS avec plus de collaboration et coopération (organicité) et au niveau philosophique le passage de réussir dans la vie à réussir sa vie (spiritualité).
Ainsi en parlant de révolution industrielle, nous regardons le monde avec le filtre de ce que nous connaissons de notre monde moderne. C’est l’arbre qui cache la forêt et comme le dit le proverbe chinois « l’arbre qui tombe fait plus de bruit que la forêt qui pousse ».
S’y attarder est on ne peut plus humain, cependant notre monde moderne change drastiquement et c’est bien plus profond qu’une révolution industrielle. Un nouveau paradigme se façonne. Sommes-nous prêts ?
[1] Les fragments d’Héraclite, par Guy Massat, Editions Anfortas
[2] Définition Wikipédia de révolution industrielle
[3] Futura-Science : https://www.futura-sciences.com/sciences/questions-reponses/epoque-contemporaine-yt-il-eu-revolutions-industrielles-5443/
[4] La nouvelle société à coût marginal zéro, par Jeremy Rifkin, 2014, Editions Les Liens qui Libèrent
[5] La quatrième révolution industrielle, par Klaus Schwab, Editions Dunod
[6] La Tribune : https://www.latribune.fr/opinions/blogs/inside-davos/davos-la-quatrieme-revolutionindustrielle-vraiment-544486.html
[7] Qu’est-ce qui nous arrive ? par Marc Halevy, Editions Laurence Massaro
Auteurs : Valérie Delachat – Matteo Quilici, Executive MBA, promotion 2021